vendredi 20 février 2015

Le corps muet

Il est curieux parfois de se "découvrir" une déficience dont on ignorait l'existence. De constater que ce qui a toujours été notre "normalité" n'est en fait pas si "normal" que ça, voir carrément pathologique. Et enfin, de se dire très souvent qu'on a toujours fait avec sans se poser de questions, que même si ce n'est pas le top on ne pensait pas que mieux existait...

Moi, mon corps, il est muet.

Les doigts de fée de l'orthophoniste


A plusieurs reprises, dans le milieu médical, on m'a intimé, parfois sèchement de me détendre... je vous passe les détails et le contexte, mais voilà, il se trouvait que j'avais des muscles contractés alors même que je n'en avais absolument aucune conscience. Bien entendu, je ne vous explique pas le malaise et les malentendus quand on vous prend pour une fille pas du tout coopérative alors même que vous n'arrivez pas à cerner ce qui ne va pas et donc encore moins comment agir pour résoudre le problème. Bref, ça m'était passé au dessus comme on dit, "je devais être trop angoissée" comme je me l'entendais alors dire.

Autre situation, cette fois-ci beaucoup plus en confiance. Me voilà avec mon orthophoniste qui me suit depuis 4 ans et qui me connaît parfaitement. Malgré ses interventions hebdomadaires, mes muscles sont toujours contractés, et pour la zone qui l'intéresse, cela me coince régulièrement le larynx avec toutes les conséquences que ça entraîne derrière. Aujourd'hui nous testons quelque chose, un truc tout bête. Je suis assise, et juste avec ses doigts positionnés à différents endroits sur mon cou, elle me fait produire des sons à différentes hauteurs. Jusque là, rien d’extraordinaire. Sauf que, ben sauf que même pour produire un son, il n'y a pas lieu de contracter les muscles du cou. Et chez moi, ça ne manque pas, hop ça se contracte. Alors avec ses indications et ses encouragements, toujours ses doigts sur mon cou, j'essaie : de ne pas forcer, de me "détendre", de... ben de quoi ? Comment diable puis-je agir sur quelque chose dont je n'ai pas conscience ? Mais j'y arrive ! Je sors des sons, bien plus grave mais aussi bien plus hauts que ce dont je me serais cru capable, avec une très grande facilité...

Non mais sérieux, un son ça peut sortir comme ça ? Ah ben je n'avais jamais ressenti ça avant.

Voilà, la réflexion que je me suis faite : je n'avais jamais ressenti ça avant...

Exosquelette, le mythe du super héros


Pour lutter contre les luxations, on m'a proposé l'exosquelette. Du grand appareillage, pas esthétique, ni confortable, ni pratique... Un moindre mal pour rester debout et reculer l'échéance de confier ses déplacements à un fauteuil.

Tout commence par un moulage au plâtre. Je dois avouer, j'ai beaucoup aimé. Pour la première fois depuis... depuis des lustres, j'ai senti mes jambes ! Enfin plutôt elles m'ont dit qu'elles étaient là, j'ai pu détendre mes cuisses, mes mollets, lâcher la pression sur mes genoux : mes jambes existaient, je n'allais pas m'effondrer. Cette sensation de "tenir", combinée à la chaleur du plâtre : vraiment un grand moment. Bon je n'ai pas dansé ni chanté à tue-tête, mais c'est un souvenir qui me restera longtemps.

J'ai testé la momification pour vous !

Deux mois plus tard, je retourne récupérer ma "bête". Je commence par essayer les orthèses de nuit : mes jambes sont dans des moules confortables, enserrées, elles sont là, elles me donnent leur position sans rien que je demande, elles sont dans mon schéma corporel. Je ne cache pas ma joie, l'assistant en est ému pour moi. Oui, c'est une petite révolution.

Après j'essaie l'exo en lui-même. Bon c'est pas terrible, les chaussures sont trop petites, j'ai terriblement mal aux pieds, mais quand même, je tiens debout, je peux "relâcher" mes genoux, mes cuisses, l'information remontent toute seule. La véritable galère aura été de trouver des chaussures, mais je pense être arrivé au bon modèle : les essais la semaine prochaine.


Sortir le corps du mutisme


En fait mon corps communique avec moi, mais il ne connaît qu'une seule chose : la douleur.

A croire que mon cerveau essaie désespérément d'entretenir le dialogue avec les différentes régions du corps, et sans réponse de leurs part, il les stimule : muscles qui palpitent, contractures. Quand les muscles bougent, l'information remonte. Mais les fasciculations, c'est gênant, les mouvements dystoniques, surtout quand ça provoque des secousses violentes ou des tremblements, c'est éprouvant, les contractures, extrêmement douloureux.

Les traitements limitent ces "expressions pathologiques" du corps... les douleurs ont diminué... la sensation du corps dans son ensemble aussi.

Quand les muscles se détendent, le contact est perdu. Lorsque je me détends profondément sur la table de massage de mon orthophoniste par exemple... en quelques minutes, j'ai perdu jambes et bras, incapable de dire dans quelle position se trouve mes membres... La même chose se produit lorsque je dors.


Nous avons essayé les vêtements compressifs, ils apportent déjà un mieux, mais ça n'était pas suffisant. L'exosquelette apporte des sensations vraiment "intenses", mais il n'est pas non plus une solution de long terme...

Bref, le problème de fond est toujours présent.


A chaque jour suffit sa peine, aujourd'hui j'ai trouvé une paire de chaussures pour pouvoir enfin essayer la marche en version Robocop, j'ai trouvé par la même occasion une équipe d'orthésistes de proximité prête à me suivre dans l'aventure... demain apportera ses surprises, je n'en doute pas !



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