vendredi 22 août 2014

Serment d'H(y)p(p)ocr(i)te

La révélation

Durant ce voyage, des médecins j'en ai croisés...

Des compréhensifs, des ignorants, des bienveillants, des suffisants, des imbus de leur personne... et dans l'ensemble, je garde un souvenir amer de ces rencontres médicales. Méfiance est ma seule réaction.

25 ans d'errance diagnostique... 25 ans à entendre tout et n'importe quoi, à me faire détruire par une suffisance malsaine de ces docteurs qui se prennent pour des dieux tous puissants, qui face à leur ignorance et leur incompréhension vont chercher à tout prix à vous inclure dans une case... et lorsqu'ils n'en ont plus, vous colle l'étiquette de la maladie mentale pour expliquer ce qu'ils ne connaissent pas. Combien de traitement inutiles, dangereux, suicidaires m'a-t-on administrée ? Combien de fois ai-je voulu mettre fin à tout ça ?

Et puis un jour, alors que vous n'en attendez plus rien, vous allez à cette consultation. Juste une de plus. J'ai traversé la France, mais je n'attends rien, plus rien qu'un non-diagnostic de plus. Après tout, ils ont peut-être raison, je ne suis peut-être qu'une hypocondriaque dépressive, il faudrait que je me fasse à l'idée...

Vous attendez des heures, et des heures... et à une heure où n'importe quel médecin de ville dort, ce monsieur d'un âge respectable vous reçoit et trouve le moyen de s'excuser pour autant d'attente. Moi j'ai presque honte d'avoir attendu jusqu'à cette heure plus que tardive de la journée pour le voir. Il est 22h30. J'ai honte de venir chercher, chercher quoi ? Des réponses ? Des explications ? Et s'il n'y en avait pas, si ils avaient juste tous raison ?

En 1h, il va soigner 25 ans de maltraitance diagnostique. J'en pleure. Enfin avoir de l'écoute, enfin avoir des mots qui expliquent mes maux, tous mes maux. Il fait du lien là où je ne cherchais même plus à en faire. Non, je ne suis pas folle, tous mes maux ont un nom, une cause, seule et unique. J'ai un syndrome d'Ehlers-Danlos, non je ne suis pas folle. La porte m'est ouverte, j'ai trouvé ma terre d'asile, finie l'errance et les doutes ! Mais... parce qu'il y a toujours un mais... Cette maladie est orpheline de traitement, cette maladie est orpheline de reconnaissance... je croyais mon combat achevé, il vient juste de commencer !


Bienvenue 

Deuxième consultation parisienne, me voilà équipée de ma tenue de "combat": des vêtements compressifs qui vont m'aider à avoir de nouveau sensation de mon corps... des orthèses, des semelles, et une liste affolante d'ordonnances.

Mais qu'est-ce que je fais là ? Est-ce vraiment pour moi tout ça ? Est-ce que j'en ai vraiment besoin ? Ça fait 25 ans que je fais comme je peux... J'y ai vraiment droit ? Comme un gosse qui manque de tout et qui soudainement se voit comblé, j'ai du mal à réaliser, du mal à y croire, à accepter, à m'accepter. Je me croyais juste égarée, juste une guerrière paumée... me voici dans le clan des malades, les armes m'en sont tombées, j'ai juste envie de pleurer.

Et puis les traitements se mettent en place, de même que le volet administratif. Faire valoir ses droits...

Je regarde du coin de l'oeil ces bouteilles d'oxygène, ces cousins anti-escarres, le nombre considérable de boîtes de médicaments... Accepter, accepter d'être réduite à "ça".

Colère, tristesse, déni...

L'errance était difficile... Savoir n'est pas préférable.


L'Hypocrite

Avoir un diagnostic posé par un des spécialistes les plus renommés de la maladie n'est pas garant d'écoute. J'ai cru que ma vie médicale allait changer... Douce naïveté...


Elle, je l'ai rencontrée un beau jour de juillet. Elle venait à mon domicile pour "voir" de quels aménagements j'ai besoin, envoyée par ma MDPH*. Une ergothérapeute était venue avant elle, elle m'avait écoutée, avait fait des propositions très pertinentes, j'étais en confiance.

Dès sa première phrase j'ai su. Elle a d'abord jaugé mon dossier médical "pauvre", puis elle m'a posé une question ouverte sans réponse possible : "Bah expliquez-moi ce qui vous gêne au quotidien ?"... Comment veux-tu que je te fasse une synthèse là, de but en blanc ? Tu as tout dans le dossier que tu es sensée avoir lu, mon projet de vie fait 4 pages, 4 pages que j'ai mis 48h à rédiger, où tout est synthétisé...

Et alors ça devient une descente aux enfers... Elle reconnaît : "elle ne connaît absolument pas ma maladie : "on ne peut pas connaître toutes les maladies rares vous comprenez" " Oui, je comprends... Je lui explique alors que la note du professeur à l'intention des commissions de MDPH incluse dans le dossier est là pour ça... "Nous ne pouvons pas en tenir compte, ça vient d'internet"... Oui du site du professeur qui m'a diagnostiquée... "Nous ne tenons pas compte d'internet"...

L'Hypocrite m'explique donc qu'elle va juger mes conditions de vie sans connaître ma maladie, sans vouloir prendre la peine de la connaître et sans tenir compte de mes dires et écrits...

Elle comprend que ma maladie se manifeste par crise... "Je ne peux pas vous fixer un taux tant que votre état n'est pas consolidé"... Mais mon état ne se consolidera jamais ! C'est le principe même de la maladie ! "Et puis aujourd'hui je ne vous mets même pas 50%"... En dessous de 50%, ce qui veut dire, aucun droit, aucun aménagement, rien... la non-reconnaissance administrative, le néant...

Et là, elle me demande "mais qui c'est ce médecin qui vous a fait le certificat médical ? Normalement c'est le médecin traitant qui le remplit. Et puis c'est quoi ce taux ? C'est bien la première fois que je vois un taux de noté, c'est à nous de le déterminer !"... Mon certificat médical a été rédigé par le professeur référent de cette maladie rare, c'est un médecin de MPR*, qui enseigne et qui a écrit de nombreux livres et publications, dont plusieurs sur le handicap. Mais c'est vrai, toi l'Hypocrite qui a dû louper sa spécialisation en pédiatrie et qui te retrouve en MDPH à faire payer au monde entier ton échec, toi, tu es mieux placée que lui pour évaluer l'impact de ma maladie sur ma vie de tout les jours en me questionnant devant la table de ma cuisine... c'est vrai, pardon...

Sache, toi qui a fait serment d'Hypocrite, que je ne lâcherais rien... La vie m'a appris une chose : j'ai des ressources insoupçonnables et je ne manque ni de pugnacité ni de patience. Aujourd'hui j'ai la légitimité qui m'a toujours manquée, mes droits je vais les faire respecter !




*MDPH : Maison Départementale des Personnes Handicapées
*MPR : Médecine Physique et de Réadaptation

NB : une consoeur de maladie a écrit un livre intitulé "Le serment d'hypocrite", et je viens de constater que c'est également le titre d'un autre livre qui dénonce la gestion des finances de Santé Publique...

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