vendredi 7 novembre 2014

Quand l'absurdité prend sens...

Dans ce voyage absurde avec la maladie, il y a parfois des étapes improbables à franchir... des passages que l'on ne veut pas prendre, car ils ne tombent ni sous le sens, ni sous la logique... ou parce que tout simplement ils font peur. Des passages pourtant obligatoires, car ils sont la seule et unique façon d'aller "de l'autre côté", de continuer à avancer.

Cela fait maintenant quelques années déjà que mes jambes ont tendance à être aux abonnées absentes, et je vous assure c'est quand même un chouille pénible. Elles sont là, elles ont à peu près tout pour fonctionner correctement, mais non, l'information ne circule pas... En théorie ça peut marcher... mais voilà, je ne vis pas en théorie... Dommage, ça a l'air d'être un chouette pays d'où Murphy a été banni, mais ça c'est une autre histoire.

Revenons donc à ces jambes, qui sont au passage, les miennes. Cependant, il m'est assez facile d'en parler de façon aussi impersonnelle vu qu'elles échappent passablement à mon schéma corporel. Donc ces jambes, elles ont commencé à réduire mon périmètre de marche... puis ma faculté à piquer un 100 mètres, si, si, des fois ça peut vraiment aider... et je ne vous parle même pas de tout ce qui s'apparente à monter sur une chaise ou un escabeau ou une échelle... Bref, doucement mais sûrement, j'ai connu des périodes où mémé était plus véloce que moi. J'ai, par la force des choses, ou plutôt le manque de force, arrêté le ski, la randonnée, la marche à pied, puis le tir sportif, et même l'équitation est devenue une activité aussi bien trop rare à mon goût... Alors bien entendu, j'ai vu tout un tas de médecins divers et variés, c'est d'ailleurs fabuleux une telle biodiversité dans la médecine..., bien entendu on m'a irradiée de nombreuses fois, électrisée aussi, on a chatouillé le spin de mes atomes à maintes reprises... Sans grands résultats. Zéro explication et mes jambes continuent de m'échapper.

Et qui dit zéro explication, dit zéro solution... la médecine est comme ça aujourd'hui. Que veux-tu ma pauv'Lucette... Heureusement parfois on croise un MPR* qui se soucie plus de rétablir la fonction, même par des moyens détournés, que de chercher à comprendre pourquoi ça marche plus (bon accessoirement mon MPR a tellement "réparé" de patients, où plutôt leurs fonctions, qu'il sait d'où vient la panne)... Un peu la différence entre l'ingénieur qui va examiner la fuite en se demandant comment diantre cela a-t-il bien pu se produire... et le manœuvre qui va colmater la fuite et réparer le tuyau percé. La médecine manque cruellement de pragmatisme de nos jours.

Bon cependant, aujourd'hui j'ai une explication, les récepteurs neuronaux qui sont sensés renvoyer les coordonnées GPS de mes jambes, de faire les retours sur investissement des mouvements musculaire, enfin toutes les infos de régulation quoi... et bien ces récepteurs sont dans le flou artistique, tout ça parce que mes tissus sont trop lâches (non, ce ne sont pas des poltrons)... Collagène de mauvaise qualité, tissus "desserrés"... Et les infos erronées ou inexistantes, mon cerveau a beau être une machine de compét... il a dû mal à me faire marcher ou courir avec ça.


Comment faire alors ?

Et bien comment faire, c'est une excellente question que je me suis posée très longtemps... Une fois qu'on a résolu de ne pas tourner folle par manque d'explication, on essaie d'être pragmatique (oui, j'aime ce mot). Mais c'est que tout ceci est un joli cercle vicieux voyez-vous.

Je ne tiens plus sur mes jambes -> je bouge de moins en moins -> je perds en muscle -> mes muscles ne tiennent plus mes articulations (vu que les ligaments ont rendu leur tablier depuis belle lurette) -> je ne tiens plus sur mes jambes...

Avec accessoirement des dégâts collatéraux comme : je prends des kilos et des kilos... je perds en cardio... je perds toute crédibilité, et toute confiance en moi aussi... je n'ai plus envie de sortir... je bouge de moins en moins... je grogne dans mon coin... je chouine devant mes "splendeurs" passées...

Bref, c'est le bordel mon adjudant !

Pour briser le cercle, il faut agir sur un des maillons :
- me faire tenir sur mes jambes ? Ah oui, mais ça je le fais toute seule... le problème ça n'est pas d'être sur mes jambes, mais que les articulations veuillent bien rester en place pour que ça dure, et si possible que je puisse avancer...
- bouger plus ? Euh je veux bien, mais prenez-moi une carte d'abonnement aux urgences du coin, parce que c'est du mode "wakouwa distendu".
- faire du muscle ? Sans bouger, difficile, l'électrostimulation a ses limites quand même...

Vous allez dire que je n'y mets pas du mien. Vous êtes le maillon faible, au revoir... Peut-être, j'essaie pourtant.


Le passage

Me voilà donc à tourner en rond dans mon cercle vicieux sans solution à l'horizon. Il y en a bien une ou deux, mais... non.

Le prof m'a parlé du FRE*... mais voilà, j'ai du mal, vraiment... Oui ça me permettrait de ressortir en balade, de faire les magasins sans fatigue... Mais je crois que mes proches ne sont pas prêts, pas plus que moi. Et pis d'abord, ça ne rentre pas dans la voiture et je n'ai pas de sou pour la changer, comme ça c'est réglé ! (méthode Coué quand tu nous tiens). Et concrètement, ça remplace les jambes, ça ne me les redonne pas. Oui, je suis exigeante, je sais...

Alors j'ai commencé à regarder autre chose... pas que je sois une grande fan de Robocop  - je préfère Iron Man, quoi que Robocop version 2014... oui bon on s'en fout - , mais j'ai vu une autre solution, seulement... y ai-je "droit" moi ? Est-ce que c'est ça qu'il me faut ?

Autre rencontre avec le prof, je lâche à demi-mot que oui, tout va très bien, mais que si ma hanche me faisait moins faux-bond, je n'aurais pas besoin de ma canne qui me flingue l'épaule et que ça serait quand même super mieux. Oui, la fourbe de hanche se luxe depuis que j'ai 7 ans... ça a toujours fait rire ou dégoûté (rayez la mention inutile) les copains... sauf que maintenant c'est à peu près à chaque foulée. Oh, je vous rassure, une luxation chez moi qui a des ligaments super distendus (c'est comme distendus, mais avec une cape en plus), ça fait quand même nettement moins mal que chez vous... C'est un peu comme d'autres choses, les premières fois ça fait mal puis après on n'y sent plus rien, mais là, je m'égare.

Donc le prof, qui a toujours une réponse à presque tout, m'a annoncé qu'il y avait une solution... Presque miraculeuse, vu qu'il m'a "promis" que je remonterai à cheval (bon concrètement je monte toujours à cheval, certes une fois par trimestre, mais quand même...). Mais voilà, cette solution-là, quand le reste n'a pas suffi... cette solution elle te fait passer de l'autre côté. Elle te stigmatise définitivement, plus possible de faire semblant, plus possible de nier, mais elle offre une promesse inespérée.

On parle de grand appareillage, rien que le terme, il fait froid dans le dos... Ça ne rigole plus. Plus possible de passer pour madame tout le monde qui s'est (encore) foulé le poignet ou pour une fétichiste qui s'habille en Catwoman... Bon, voilà quoi, on parle d'exosquelette.

J'ai papoté timidement avec les copains zèbres robocopisés, comme tout le reste ça apporte son lot de désagréments, et puis il y a les autres, toujours eux. Ce n'est plus de moi que j'ai peur, mais de ma place dans la société qui glisse doucement de valide à invalide... de Vaishya à Intouchable... de la répercutions que cela aura irrémédiablement sur les miens et surtout mes enfants.


Que la lumière soit !

Alors oui, j'ai ruminé longtemps comme une Gao Mata, moi, les autres, ce que je veux laisser à mes enfants... Quelle place sera la leur si je ne fais pas la mienne ? Quelle sera ma vie, si je renonce à mes jambes pour le leurre de la "normalité" ? Un leurre qui ne trompe plus grand monde, un leurre qui m'enferme dans ce que je ne suis pas, dans ce que je ne suis plus...

Je vais devoir accepter ce passage. Je vais devoir accepter cette aide, car c'est avec elle que je resterai debout, et parce que mes jambes valent au final un chouille plus que le regard des autres... ce sont de mes jambes que l'on parle, pas des leurs.

Je vais accepter de passer, d'aller de l'autre côté, puisque c'est ainsi que je vais avancer.

Faire du sens, toujours. Je n'ai plus rien à perdre et tout à retrouver : ma selle et ma jument, ma carabine, mon arc, mes skis même ! Et ma place... oh que oui, je vais la garder :
"Peux ce que tu veux !" ou plutôt "Rends possible ce que tu veux !"

D'ailleurs drôle de chose à constater... Vouloir et Pouvoir n'ont pas d'impératif...  À croire que l'on ne peut imposer à quiconque d'avoir la volonté ou le pouvoir !





*MPR : ici par ellipse, médecin de Médecine Physique et de Réadaptation
*FRE : Fauteuil Roulant Electrique... En effet, compte-tenu de notre propension à nous luxer poignets et épaules, avec un SED on passe souvent au FRE sans passer par la case fauteuil manuel. A noter que la canne a également la mauvaise manie de luxer les épaules...

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